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Libre commerce contre tabagisme, l’OMS à la croisée des chemins  Imprimer l'actualité

• Les négociations sur la Convention cadre contre le tabac, qui se tiennent à Genève, sont soumises à l’intense pression des Etats-Unis.

ROBERT JAMES PARSONS

Peu brillante, de par ses progrès, la cinquième session des pourparlers sur la Convention cadre contre le tabac, qui s’est tenue en octobre à Genève, a quand même permis d’entrevoir ce qui attend les négociateurs lors de la dernière session, prévue pour février prochain.

Selon le calendrier, le texte doit être terminé en février et présenté à l’Assemblée mondiale de la santé en mai. Le temps presse donc, ce qui favorise ceux qui visent un texte dépourvu de substance et – surtout – non contraignant.

LA PUB, UN DROIT HUMAIN ?

Si l’Allemagne et le Japon ont traîné les pieds de façon impressionnante, ce sont les Etats-Unis qui se trouvaient en tête de peloton des saboteurs, surtout dans trois domaines, dont l’interdiction de la publicité. Principal moyen d’attirer les jeunes et de faire de ceux-ci des accros de la nicotine (donc des consommateurs de tabac à vie), la pub est un outil efficace.

Or, selon la superpuissance, une telle interdiction serait contraire à la liberté d’expression garantie par la Constitution étasunienne, et tout ce qui va dans ce sens est néfaste pour l’humanité.

Les ONG nord-américaines, pourtant, soulignent qu’une telle interprétation de la liberté d’expression n’a jamais été testée devant la Cour suprême. De plus, poursuivent-elles, comment défendre, sous prétexte de la liberté d’expression, la promotion d’un produit qui tue plus de la moitié de ceux qui s’en servent ?

La question des responsabilités et dommages-intérêts provoque aussi une levée de boucliers. Selon le Gouvernement des Etats-Unis, grâce aux mises en garde présentes sur les paquets de cigarettes, tout le monde sait que la fumée peut nuire à la santé. Donc si les gens en tombent malades, c’est leur faute, non pas celle de l’industrie.

De leur côté, les ONG rappellent que les mises en garde sont loin d’être généralisées. Et que, dans les pays o&ugrav; elles n’existent pas, l’industrie lutte bec et ongles pour qu’elles ne voient jamais le jour. Ou qu’elles soient beaucoup trop vagues et petites pour contrer les images positives projetées par la publicité1.

PRIMAUTE DE LA SANTE ?

Le troisième domaine est peut-être le plus susceptible de faire échouer la Convention : la primauté de la santé publique sur le commerce, primauté menacée par l’article 2, alinéa 3, du texte proposé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) :

Aucune disposition de la présente Convention et des Protocoles y relatifs ne saurait être interprétée comme impliquant une modification d’aucune sorte des droits et obligations d’une Partie en vertu d’un traité international existant. Or les accords sur le libre-échange de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sont bel et bien déjà existants et formels. Pour déroger aux règles de celui-ci, il faut prouver de façon scientifiquement irréfutable qu’il existe une menace pour la santé. Refusant le principe de la précaution, l’OMC exige des preuves souvent impossibles à établir.

LE FARDEAU DE LA PREUVE

Aux Etats-Unis, aucun tribunal n’a jamais reconnu la validité d’une plainte contre l’industrie pour atteinte à la santé imputable au tabac parce que jamais prouvée de façon scientifiquement irréfutable. Bien que plus de la moitié de fumeurs finissent par mourir de leur tabagisme, on n’a jamais établi un lien de cause à effet irréfutable. En d’autres mots : on ne peut pas dire quelle quantité de produit, utilisée pendant tel laps de temps, aboutira à quelle maladie.

En août denier, l’OMS a conclu un accord avec l’OMC qui reconnaît clairement le besoin de preuves scientifiques pour déroger aux dispositions de l’OMC, sans préciser quel niveau de preuves exiger. Etant donné le passé de l’OMC dans la défense du libre commerce au détriment de toute autre considération, on peut difficilement croire qu’elle permette des dérogations sans le genre de preuves exigées par les tribunaux étasuniens. Donc, en se référant aux traités déjà existants, la Convention se placerait entre les mains d’un organisme qui jusqu’ici n’a jamais montré le moindre intérêt à défendre la santé publique. Et cette concession serait officialisée par l’accord OMS-OMC.

Lors de la conférence de presse de fin de session, on a demandé à Gro Harlem Brundtland, si elle était prête à monter au créneau pour défendre la Convention au cas o&ugrav; les Etats-Unis finissaient par remuer ciel et terre pour saboter un document significatif. La question a eu le don de fâcher la directrice de l’OMS. Qui s’est déclarée dans l’impossibilité de s’exprimer sur des pourparlers en cours et a souligné que la superpuissance œuvre pour un traité qu’elle puisse signer.

Vu les divergences de la part des négociateurs, le texte passe maintenant entre les mains du président de la conférence, Luis Felipe de Seixas Corrêa, connu pour son soutien à une convention aussi forte que contraignante. Mais ce chef des travaux est soumis à des pressions qui risquent de s’avérer, elles aussi, fortes et contraignantes. Le texte qu’il présentera à la dernière session en février en dira long sur le succès de ses efforts pour éviter le pire.

1 A ce titre, le Canada est un cas intéressant : la mise en garde doit y occuper au moins la moitié de la surface du paquet et présenter de très vives photographies de personnes souffrant de toutes sortes de maladies provoquées par la fumée.

Source : Le courrier - genève 5 novembre 2002


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