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Polémique sur l’affiche de la BNF
L’enfer c’est la clope » titre LIBERATION qui indique que « le mégot a été effacé » des doigts de Jean Paul Sartre sur l’affiche visant à promouvoir l’exposition à la BNF. « Lui aurait détesté » assure Christian Caujolle, directeur de l’agence Vu et proche de Sartre. Pour sa part la BNF « reconnaît et assume » une « erreur ». Le Journal qui estime quant à lui « curieux » ce revirement qui fait de Sartre une « icône politiquement correcte à l’heure de la commémoration du centenaire de sa naissance », juge « qu’il l’est encore davantage quand on déroule la pelote des prises de décisions qui ont abouti à ce cliché recadré, retouché, édulcoré pour les canons de l’époque ». La directrice générale de la BNF explique qu’il s’agit d’un choix visant à ne pas « contrevenir aux dispositions de la loi Evin, et selon le quotidien, elle « rejette la faute sur un maillon indéterminé de la chaîne de conception de la campagne publicitaire » disant avoir choisi cette image sans savoir que le cliché avait été retouché. La directrice « s’excuse » « Nous sommes absolument soucieux de ne jamais apparaître comme niant la réalité historique et encore moins comme maquillant une photographie pour récrire l’histoire ». Observant que le choix de l’affiche « a échappé aux spécialistes de Sartre et jusqu’aux commissaires de l’exposition », le quotidien affirme que « le service de communication en accord avec la régie publicitaire (…) avait exigé un Sartre désenfumé » en raison de la loi Evin qui édicte que « la propagande et la publicité indirecte en faveur du tabac (…) sont interdites ». Toutefois, pour un avocat, spécialiste du droit de la publicité, cette photo « ne relève pas d’une publicité indirecte » car « quand on parle de publicité, il faut qu’il y ait un fabricant de tabac derrière ». Un professeur à la faculté de droit de Poitiers explique pour sa part que l’interprétation de la loi visant à dire « le législateur a voulu interdire toute exposition à la vue du public du tabac et des cigarettes serait incompatible avec la liberté d’expression défendue à la Cour européenne des droits de l’homme » mais que l’autre interprétation selon laquelle « le législateur a voulu interdire la présentation sous un jour favorable du tabac (…) en vue d’inciter les citoyens à en consommer est plus communément admise ». Protestation de Christian Caujolle « Est-ce que la BNF est l’agence de communication du lobby antitabac ? ». Michel Contat, spécialiste de Sartre, estime « qu’on peut contester le choix de cette photo sans cigarette » mais qu’une « bonne propagande antitabac devrait montrer Sartre, l’ennemi du genre humain, fumant à gros nuages » car « cela découragerait la jeunesse, un homme si laid, si méchant, fumant comme un sapeur ». Considérant que « derrière la prudence sanitaire affichée par la BNF pointe de fait une déformation de la réalité historique », Libé indique qu’ainsi pour Benoît Denis, professeur de littérature « Sartre n’a jamais témoigné un grand souci de son corps (…) il était gros fumeur, buvait sec et (…) a considérablement abusé des amphétamines » or « tout ceci s’oppose frontalement à l’hygiénisme ambiant ». D’après Annick Rivoire, seul Michel Rybalka, du groupe d’études sartriennes, défend la « petite bêtise » de la BNF et dit « Je ne pense pas qu’on doive créer quand on peut l’éviter un conflit entre la santé publique et la vérité historique ». Evoquant les années Sartre, « celles d’une consommation quasi innocente de tabac et d’alcool », la journaliste juge qu’il est « difficile d’éviter la représentation d’une cibiche sur une photo » mais que « le sanitairement correct de notre époque a déjà valu à Malraux la même mésaventure » pour l’édition d’un timbre en 1996, mais aussi à Simenon pour une campagne du Point, et même à Gainsbourg en couverture d’un Larousse sur la chanson. A. Rivoire qui parmi « les agissements signalés » contrevenant à la loi Evin depuis 1997 ne « voit rien qui évoque la condamnation d’un organisme indépendant des fabricants de tabac », précise que la présidente du Comité national contre le tabagisme « se réjouit d’autant de l’autocensure de la BNF » qu’elle juge que « le processus de dénormalisation du produit est en marche », « qu’il n’est pas anodin que des personnages publics valorisent l’acte de fumer » et « qu’on n’a pas besoin de connaître Sartre par le fait qu’il fume ». D’après le journal, « la relecture de l’histoire » est la même du côté des publicitaires qui se retranchent derrière le « conseil de (leurs) juristes » lesquels considèrent qu’il y avait « un risque de requalification de l’affiche en propagande indirecte pour du tabac ». Assurant que personne ne peut citer un cas de condamnation pour une affiche sans rapport avec un fabricant de cigarettes, Libé rapporte que pour le sartrien Benoît Denis « nous sommes ainsi enveloppés par des discours et des représentations qui s’imposent à nous avec une force d’évidence telle que nous les contestons très peu » et « à l’heure où il serait de bon ton de reprocher à Sartre son aveuglement sur le communisme, il n’est pas sans intérêt de noter, qu’à un niveau moindre, (…) notre époque impose aussi toute une gamme de vérités présentées comme inconditionnelles et non contestables » . Pour le quotidien « l’affaire du mégot de Sartre n’a rien à voir avec les falsifications idéologiques de la photographie du temps de Staline ou de Mao » mais « elle est symptomatique d’une banalisation de la retouche d’image (…) qui la vide de tout sens » et « le pire, avec cette clope ôtée à Sartre,c’est que personne n’a vraiment réfléchi à l’enlever sauf les pubards… ». Le 16/03 :
En ventre de Une du FIGARO, une chronique de Bertrand de Saint Vincent intitulée « Jean - Paul Sartre les mains vides ». Le chroniqueur note que « Sartre fait figure d’intellectuel engagé » et que « toute sa vie, il réfléchit (…) en grillant cigarette sur cigarette et en ingurgitant autant de whisky que d’amphétamines » pour préciser qu’il fut aussi « un compagnon de route exemplaire du communisme ». Soulignant que « nulle polémique contemporaine ne songerait à (…) lui reprocher » cet engagement, le chroniqueur affirme que « ce que les âmes bien nées n’admettent pas c’est qu’il fut un fumeur invétéré » d’où l’initiative de la BNF « de retoucher son affiche publicitaire » où « la cigarette qu’il tenait a disparu ». Et le journaliste d’expliquer « on craignait nous dit –on que la vision d’un mégot ne donne de mauvaises idées aux jeunes générations ».
Au courrier des lecteurs de Libération, cette suggestion d’un lecteur indigné « on pourrait par exemple suggérer que figure dorénavant, en corps minimal et en italique quelque part dans un coin, la mention suivante : « En application de la loi Evin nous avons procédé à la retouche de la photo d’Untel le montrant tenant une cigarette ». Selon lui « cette inscription, par-delà l’honnêteté d’allier le médicalement correct au grotesque le plus achevé, aurait le mérite d’éviter aux historiens futurs de se perdre en conjectures quant à l’évolution des petites manies et autres vices impunis de leur objet d’étude ».