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Le tabac à l’heure de la mondialisation et des médias interactifs
Le cancer est intimement lié au tabac, comme ont pu le constater les 2050 délégués au Congrès mondial sur le cancer (World Cancer Congress), organisé à tous les deux ans par l’Union internationale contre le cancer (Union for International Cancer Control). Sur les centaines de conférences et ateliers offerts à la fin août, au Palais des congrès de Montréal, une quarantaine portait spécifiquement sur le tabac. Mentionnons ceux sur le développement scientifique des emballages neutres en Australie, l’interdiction de la vente des produits du tabac autour des écoles en Inde et la prévention du tabagisme chez les jeunes autochtones au Canada. Au final, cependant, deux conférences ont particulièrement retenu notre attention : l’une sur l’impact de la mondialisation sur le tabagisme et l’autre sur la présence dans les réseaux sociaux des cigarettiers et des groupes de santé.
Tabagisme sans frontières
Selon la théorie économique, l’industrie du tabac profite de la mondialisation. En effet, la libéralisation des marchés favorise la compétition, ce qui entraîne une baisse des prix et, en conséquence, une augmentation des ventes. Cela est vrai des voitures comme des cigarettes ! L’ouverture des marchés a un autre avantage : elle fournit de nouveaux consommateurs à l’industrie. « Jusqu’à récemment, environ 40 % des fumeurs dans le monde étaient emprisonnés derrière des murs idéologiques [des pays communistes], écrivait au début des années 1990 un haut dirigeant de Rothmans (maintenant Rothmans Benson & Hedges). Les rejoindre nous démangeait […] C’est d’eux que proviendra notre croissance. » Enfin, les accords commerciaux internationaux permettent aux cigarettiers de contester les mesures de santé publique au nom de leur « droit au commerce ». « Cela est plus marqué depuis l’adoption de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, en 2005, qui a accéléré la mise en place de mesures de contrôle du tabac », a affirmé au congrès Douglas William Bettcher, directeur de l’Initiative pour un monde sans tabac de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
En 2010, par exemple, les bureaux de Philip Morris International (PMI), en Suisse, se sont adressés à l’International Centre for Settlement of Investment Disputes (un tribunal de la Banque Mondiale) pour contester une loi uruguayenne. Cette loi interdit les déclinaisons des marques de cigarettes. Si elle est adoptée, PMI ne pourra vendre que des Malboro en Uruguay plutôt que des Malboro Flavor et des Malboro Gold. « Cette loi vise à défaire la perception que certaines marques de cigarettes sont moins nocives que d’autres », a expliqué Patricia Lambert, directrice du consortium légal international pour la Campaign for Tobacco-Free Kids, aux États-Unis. Malheureusement, « une entente de libre-échange entre la Suisse et l’Uruguay rend la poursuite de PMI possible », ajoute Mme Lambert. Le tribunal devrait rendre son jugement en 2013.
De leur côté, trois pays qui produisent du tabac - l’Ukraine, le Honduras et la République dominicaine - ont déposé une plainte à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) contre les emballages neutres australiens, arguant que ceux-ci représentent une entrave au commerce. La décision du tribunal est attendue d’ici quelques années.
Commerce et santé : des objectifs compatibles
Bien que ces procès « économiques » se multiplient, leur impact pourrait être limité. « Plusieurs pays ont critiqué le projet de loi canadien C-32 qui visait notamment à bannir les additifs comme le sucre, les épices ou les saveurs de fruits dans certains produits du tabac », a rappelé Denis Choinière, directeur du Bureau de la réglementation et de la conformité à Santé Canada. Selon certains, celui-ci violait l’Accord de libre-échange nord-américain et les accords conclus à l’OMC. Une importante campagne de publicité a même été menée contre lui, au Canada et aux États-Unis, avec des formules comme « Ne laissez pas les politiciens canadiens détruire des emplois agricoles américains ». Au final, cependant, « aucun État n’a déposé de plainte officielle une fois que la loi a été adoptée, en 2009 », a rappelé M. Choinière.
En fait, selon la plupart des experts entendus, la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac n’est pas incompatible avec le commerce international. Pascal Lamy, directeur général de l’OMC, l’a reconnu lors d’un symposium sur la diplomatie sanitaire mondiale, à Genève, en 2011. Ainsi, l’OMC permet que les États mettent en place des politiques publiques protégeant la santé, même si elles limitent le droit de commercer. À condition qu’elles soient appliquées à tous les produits appartenant à une catégorie donnée, indépendamment de leur origine ; qu’elles protègent réellement la santé ; qu’elles soient importantes pour l’atteinte d’un objectif donné et qu’il soit impossible d’adopter des politiques à la fois moins nuisibles au commerce et aussi efficaces pour la santé publique. En Australie, « le ministre de l’Industrie défend autant les paquets neutres que le ministre de la Santé : pour lui, il ne s’agit pas d’une mesure contre le commerce, mais d’une mesure contre le cancer », a dit Jonathan Liberman, l’avocat qui dirige le McCabe Centre on Law and Cancer, en Australie.
Les médias sociaux : une nouvelle vitrine pour le tabac…
L’un des nombreux ateliers et conférences du congrès a abordé les médias sociaux, c’est-à-dire les sites Internet comme Facebook, Twitter ou YouTube qui permettent aux utilisateurs d’interagir facilement entre eux. Surprise : la majorité des pages dans les réseaux sociaux donnent une image positive du tabac. C’est le cas de YouTube, par exemple, où la plupart des vidéos sont protabac, ont constaté deux équipes de recherche : une de l’Université d’Otago, en Nouvelle-Zélande, et de l’Université de Californie à San Francisco. « Cela est dû au fait que les cigarettiers ont plus d’argent que les organismes et les gouvernements luttant contre le tabac et qu’ils ont quelque chose à vendre », estime l’animateur de cet atelier, le Canadien Stan Shantenstein, éditeur de Smoking & Tobacco Abstracts & News.
« Les entreprises du tabac présentes dans ces médias sont surtout d’origine américaine ou australienne, ajoute-t-il. Pour l’instant, on y voit moins d’entreprises canadiennes. » Cette présence des cigarettiers prend plusieurs formes. Par exemple, la page Facebook des cigarettes Camel regroupe plus de 14 000 fans, tandis que le compte Twitter d’Imperial Tobacco aborde des questions touchant directement la firme. « Il y a quelques années, R.J. Reynolds a fait appel à sa clientèle pour redesigner les emballages et les saveurs des cigarettes Camel Signature », a rappelé Stan Shatenstein. Des chercheurs de l’Université de Sydney, qui ont étudié cette initiative, ont conclu qu’environ 30 000 clients avaient évalué et proposé des designs et un logo. Cela suggère que l’industrie a changé ses stratégies marketing, estiment les chercheurs. R.J. Reynolds, « autrefois très secret », choisit désormais la transparence « en ouvrant le processus de recherche marketing entourant une nouvelle marque de cigarette, les Camel Signature », écrivent-ils.
… et les initiatives prosanté
Le discours contre le tabac trouve lui aussi - heureusement - une place dans Facebook, Twitter et YouTube. « De plus en plus de gens utilisent les médias sociaux : si nous voulons les rejoindre, nous devons nous y mettre nous aussi », explique Stephen Hamill, directeur associé à la World Lung Foundation (WLF).
Lors de sa présentation, Stephen Hamill a raconté comment la WLF a mené plusieurs projets pilotes reliés aux médias sociaux entre 2009 et 2011. Packhead, par exemple, est une application Facebook qui permettait d’ajouter une tumeur, des dents pourries, de la fumée toxique ou une trachéotomie à la photo d’un proche ou d’un ami. L’objectif était que les internautes partagent leurs créations, afin de mieux faire connaître les dangers du tabac. Mais cela n’a pas très bien fonctionné. « Ces créations étaient peut-être trop dérangeantes pour être partagées », a dit Stephen Hamill.
Un autre projet pilote de la WLF a été réalisé en Inde. Il visait à augmenter la visibilité des citoyens d’accord avec les politiques publiques contre le tabac à mâcher. Des annonces télévisées et des messages textes invitaient les Indiens à visiter un site web créé par la WLF et à se joindre à une campagne contre le tabac à mâcher, premier responsable des cancers oraux. « Plus de 4 millions d’Indiens ont vu ou entendu une annonce pour notre site web, a expliqué Stephen Hamill. Environ 10 000 sont effectivement allés le voir et 2600 se sont inscrits à la campagne ou ont invité un ami à le faire. » Au final, donc, à peine 0,06 % des personnes rejointes ont réellement agi.
Pour Stephen Hamill, l’effort en valait tout de même la peine, en autant que l’on ne s’attende pas à recruter des milliers de supporters du jour au lendemain. « Les médias sociaux restent un moyen peu dispendieux de mobiliser des gens, dit-il. Grâce à un investissement de 15 000 $, nous pouvons désormais communiquer avec les 2600 personnes que nous avons rejointes pour leur demander d’écrire à leur député ou de signer une pétition », explique M. Hamill.
Médias sociaux : des outils efficaces… à certaines conditions !
Bref, les médias sociaux ne sont pas une panacée, mais ils peuvent faciliter la lutte contre le tabac. Il y a toutefois plusieurs règles à respecter pour que cela remporte un certain succès, ont expliqué lors de l’atelier Stephen Hamill et Karen Gutierrez, une consultante américaine en marketing social.
Assurez-vous d’abord que votre population cible a… accès à Internet ! Assurez-vous aussi de ne pas simplement informer les utilisateurs de Facebook ou de Twitter : demandez-leur d’agir en signant une pétition ou en partageant une page Facebook avec leurs amis. Plus le matériel utilisé évoque des émotions, plus il risque d’être apprécié, ajoute Stephen Hamill. « Les statistiques ne suffisent pas, précise-t-il en entrevue. Pour convaincre quelqu’un d’adhérer à une cause, il faut lui raconter l’histoire d’un individu ou lui expliquer les effets précis des maladies dues au tabac, par exemple. » Contrairement à ce que croient plusieurs, bâtir un beau site web interactif ne suffit pas pour que les gens y affluent : il faut que ce dernier soit publicisé par la voie des médias traditionnels ou des communautés présentes sur Internet. Une fois mis en ligne, votre page Facebook ou votre compte Twitter doivent aussi demeurer actifs pour attirer les foules. La firme américaine M+R Strategic Services, spécialisée en planification et gestion de campagnes, a montré que les organismes postant, en moyenne, six messages par semaine sur leur page Facebook gagnaient à chaque mois près de 4 % de fans. « C’est énorme, dit M. Hamill, mais c’est très difficile de trouver six choses engageantes à dire chaque semaine ! » En d’autres mots : pour y arriver, vous devez y assigner un employé à temps plein.
Bref, dans l’univers des médias sociaux, les groupes prosanté doivent combattre le feu par le feu, c’est-à-dire répondre aux cigarettiers en y étant présents eux aussi. Certains sont choqués d’y voir les cigarettiers ou leurs produits. Après tout, la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac « instaure une interdiction globale de toute publicité en faveur du tabac ». « C’est vrai, mais ce n’est pas simple de déterminer si la présence des cigarettiers sur Internet constitue réellement une forme de publicité, dit Stan Shantenstein. Par exemple, ils pourraient argumenter qu’il s’agit davantage d’information que de publicité. » Sans oublier que la Convention-cadre ne crée pas d’obligations pour les compagnies de tabac, mais pour les États et « qu’il est parfois difficile de savoir de quel pays origine un site web », ajoute M. Shantenstein.
Pour mieux combattre la présence des cigarettiers dans les médias sociaux, conclut-il, il faut documenter ce qu’ils y font, afin de mieux y répondre. Et, évidemment, de créer et d
Par Anick Perreault-Labelle, Source : Info-tabac.ca