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La Cour des comptes fustige l’échec des politiques de lutte contre le tabagisme
Les associations de lutte contre le tabac apprécieront, les fabricants et les buralistes plutôt pas. La Cour des comptes devait remettre à l’Assemblée nationale, jeudi 13 décembre, un rapport d’évaluation des politiques de lutte contre le tabagisme. Elle y pointe une discontinuité des décisions, un manque de contrôle, trop de poids laissé aux lobbies... et, au final, un résultat « décevant » et « inquiétant », puisque la prévalence du tabac, notamment chez les femmes et les jeunes, augmente de nouveau.
La Cour estime que les politiques de lutte se sont « essoufflées », mais c’est clairement leur échec qui transparaît. Cela ne devrait pas déplaire au président de l’Assemblée Claude Bartolone, qui doit recevoir ce rapport demandé par son prédécesseur Bernard Accoyer, car en filigrane, ce sont les choix de la droite depuis 2005 qui sont dénoncés.
■Contrôles inexistants
Certes, des mesures ont été prises, comme l’interdiction de fumer dans les lieux publics, ou la vente aux mineurs. Mais il n’y a quasiment aucun contrôle de leur application. A titre d’exemple, un buraliste encourt un risque par... siècle d’être contrôlé par les Douanes. Quant aux préfets, auxquels le ministère de l’intérieur a demandé un bilan des contrôles, trois seulement ont répondu. Seules les associations antitabac veillent, en saisissant les tribunaux.
■Discontinuité des politiques
Elles ont manqué de cohérence. Après les fortes hausses de taxes (et donc de prix) en 2003-2004 imposées par Jacques Chirac, qui ont permis une baisse de la consommation, un moratoire fiscal a été décidé. Depuis 2005, les volumes de vente ne baissent plus, car les hausses de prix certes nombreuses, mais peu élevées, n’ont plus eu d’influence sur la consommation. Elles ont donc pour seul résultat une augmentation des recettes de l’Etat, et du chiffre d’affaires des fabricants et des buralistes.
Et la Cour de se faire sévère, en démontrant l’« effet d’aubaine » qu’ont constitué pour les buralistes les « contrats d’avenir ». Ceux-ci ont permis aux débitants de toucher des subventions pour compenser de futures baisses des ventes, donc de revenus, qui ne se sont pas produites. Entre 2004 et 2011, 2,6 milliards d’euros d’aides leur ont été versés. Dans le même temps, leur rémunération a augmenté de près de 70 %. Tous ont bénéficié des aides, et pas seulement les buralistes des zones touchées par des baisses de ventes, soit les territoires ruraux et frontaliers – l’achat à l’étranger représente aujourd’hui 15 % –, regrette la Cour, qui préconise que les aides soient ciblées.
Face à ce paradoxe, les magistrats appellent à « remobiliser la fiscalité au service de la santé publique », avec un « relèvement soutenu » des prix du tabac à un niveau suffisant pour provoquer une baisse « effective et durable » de la consommation.
■Des lobbies trop écoutés
Ce qui étonne la Cour, en outre, c’est le poids persistant des lobbies économiques et de leurs discours. Un poids jugé paradoxal au regard des enjeux, étant donné que la culture du tabac est devenue résiduelle en France – il ne reste plus que quatre usines et 700 emplois. Ce qui devrait laisser plus d’espace aux actions de lutte contre le tabagisme. Mais les multinationales réussissent particulièrement bien à se faire entendre, tout comme les buralistes. Le premier président de la Cour Didier Migaud devait estimer, devant les députés, que « les moyens de l’Etat ont été mobilisés de manière trop importante pour le soutien » de ces derniers.
■Absence de plan spécifique
Sur un sujet majeur comme le tabac, première cause de mortalité évitable en France, les magistrats regrettent qu’aucun plan spécifique n’ait été lancé depuis 1976 et la loi Veil. Des mesures ont été dispersées dans différents plans, et des objectifs parfois contradictoires, et non atteints aujourd’hui, ont été fixés.
Pour insister sur les errements français, la Cour rappelle à maintes reprises le succès de la Grande-Bretagne dans sa lutte contre le tabagisme. Des objectifs ambitieux de réduction de la consommation y ont été fixés, et les moyens de les atteindre (contrôles, soutien du sevrage...) ont été octroyés. La prévalence y a été réduite de 10 points, de 30 % à 20 %. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’un Anglais sur cinq qui fume, contre un Français sur trois.
La Cour appelle donc à passer « de politiques juxtaposées à une politique renouvelée et coordonnée » pour « modifier en profondeur les comportements ».
■Peu d’efforts de prévention
La comparaison est frappante. Chaque année, ce sont 100millions d’euros qui sont investis dans la prévention du tabagisme, à comparer aux 300 millions pour les aides versées aux buralistes. Or « fumer tue », et « trop de Français ignorent à quel point », devait insister M. Migaud. Selon un sondage IFOP commandé pour l’évaluation, une personne sur quatre sous-estime la proportion de décès liés au tabac. La modestie des moyens de communication attribués au tabagisme est en cause : les budgets consacrés à la sécurité routière (4000 morts par an) sont dix fois supérieurs à ceux dédiés au tabagisme (73000 morts).
■Soutien faible au décrochage
Alors qu’il est particulièrement difficile de décrocher du tabac, les magistrats estiment que les Français sont mal accompagnés. Les outils d’aide au sevrage comme les consultations spécialisées sont mal identifiés. La prise en charge par l’assurance-maladie des substituts nicotiniques fait l’objet d’une expérimentation limitée et hésitante. Elle recommande donc la prise en charge du sevrage, particulièrement pour des groupes ciblés.
La Cour, d’ailleurs, ne se montre pas tendre avec l’assurance-maladie à laquelle il est aussi reproché de n’avoir pas d’idée précise des coûts du tabagisme pour la Sécu –au minimum 12milliards d’euros, les taxes en rapportant 15. Et regrette que le coût pour la société de ces décès prématurés n’ait jamais été finement évalué. Ces imprécisions ne peuvent que fragiliser la lutte contre le tabagisme en laissant planer l’idée que la contribution des fumeurs à la collectivité par le biais des taxes acquittées serait supérieure aux coûts qu’ils induisent.
La Cour appelle au final à ce que le ministère de la santé reprenne le rôle de coordination de la lutte contre le tabagisme. La majeure partie de ces préconisations sont réclamées depuis des années par les associations, qui rappellent à chaque faible hausse de prix son improbable impact sur la consommation.
Le ministère de la santé, qui a déjà prévu une hausse, mais légère, pour juillet2013, assure que le tabac sera l’une de ses priorités pour la nouvelle loi de santé publique, qu’il promet pour l’an prochain. Elle aurait dû être renouvelée en 2009.
Source : LeMonde.fr