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Convention anti-tabac : Le déclin de la mauvaise herbe
De nos jours, on n’aurait aucune chance d’introduire les cigarettes sur le marché, ironise Thomas Zeltner, le chef de l’Office fédéral de la santé publique. Laisser le tabac en vente libre, cela équivaut en quelque sorte à écouler de vraies kalachnikovs dans les magasins de jouets. Aucun produit disponible sur le marché n’est plus meurtrier. Aussi, l’argument du respect total de la liberté individuelle, employé par ceux qui profitent de la situation, est-il vite balayé.
La cigarette est responsable du décès de la moitié de ses consommateurs. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que le nombre de morts prématurées liées au tabagisme atteint le chiffre considérable de 5 millions. Ce qui fait de la fumée la première cause de mortalité en Occident, loin devant les accidents de la route, qui tuent treize fois moins.
Face à cette réalité de santé publique, il y a des empires commerciaux qui génèrent des bénéfices colossaux. On sait aujourd’hui que ces entreprises ont sciemment menti durant des décennies, cachant les effets de leurs produits. Elles ont noyauté les recherches scientifiques pour retarder les conclusions accablantes. Elles ferment les yeux, alimentent, voire participent à la contrebande et au trafic maffieux de cigarettes.
C’est pourquoi le combat contre le tabagisme a un caractère exemplaire. Il illustre la lutte de la collectivité publique contre l’assujettissement aux intérêts privés.
A cette aune, l’adoption, hier, à Genève, d’une convention-cadre antitabac par les 192 membres de l’OMS est une victoire sans précédent. Il y a quelques jours encore, le vote de ce texte apparaissait très compromis par certains pays liés aux intérêts des cigarettiers. Et l’OMS va loin. Elle demande aux Etats d’interdire toute publicité directe ou indirecte pour le tabac ainsi que tout parrainage. Elle prévoit de mettre en place un nouvel étiquetage, d’adopter des mesures pour assurer la propreté de l’air à l’intérieur des locaux et de renforcer la législation afin de supprimer la contrebande du tabac.
L’adoption du texte n’est évidemment que le commencement d’un processus long et semé d’embûches. La convention devra ensuite être signée et ratifiée par les Etats. Elle n’entrera en vigueur que lorsque les parlements de quarante d’entre eux l’auront adoptée. La lutte acharnée des milieux qui vivent du commerce du tabac – producteurs, cigarettiers, revendeurs, publicitaires... – va donc se poursuivre au sein de chaque pays.
On connaît les rapports de forces existants, notamment en Suisse. Ils sont très défavorables à la défense des intérêts communs, et cela souvent avec la complicité des pouvoirs publics. Jusqu’à présent, par exemple, la Confédération n’accordait que six millions de francs par an pour la prévention du tabagisme. Quasi rien en regard des 150 millions investis chaque année par les cigarettiers. Le 21 mars dernier, l’Assemblée fédérale a enfin décidé la création d’un fonds de prévention de 20 millions de francs par an, financé par une augmentation de l’impôt sur le tabac, mais cela s’est fait de justesse et contre l’avis du Conseil fédéral. Le même impôt est d’ailleurs également utilisé, à hauteur de 20 millions, pour subventionner... la culture du tabac !
Face à l’immense défi que représente la réduction des méfaits du tabagisme, la Suisse, comme les autres nations, fait preuve d’une schizophrénie tenace. Il ne fait cependant pas de doute que l’industrie du tabac, malgré sa puissance, son expérience de la dissimulation et ses complicités politiques, ne peut contrer son lent mais inexorable déclin. Une victoire à savourer sans filtre.
MANUEL GRANDJEAN
Source : Le courrier - genève