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Contre le tabac, pas de faiblesse !
Contre le tabac, pas de faiblesse !, par Bertrand Dautzenberg et Gérard Dubois LE MONDE | 05.01.04 • MIS A JOUR LE 05.01.04 | 18h30
Les trois drogues les plus utilisées en France, le tabac, l’alcool et le cannabis, sont responsables d’environ 100 000 décès chaque année ; le tabac à lui seul en cause 66 000. En comparaison, les overdoses des héroïnomanes sont responsables d’une centaine de morts et le sida des toxicomanes d’une centaine d’autres.
La Fédération française d’addictologie (FFA) critique la politique actuelle de l’Etat. Nous ne partageons pas cette position.
Deux approches sont en effet possibles. L’une, dite « politique produit », s’attaque à l’offre, à l’image et à la perception dans la société du produit (prix, publicité, disponibilité...), sans négliger l’aide au sevrage d’un produit comme le tabac, hautement addictif. L’autre, dite « tout addiction », part du constat de la grande fréquence de l’usage d’associations de produits et s’occupe exclusivement de la personne consommatrice et dépendante (soins, sevrage, réinsertion).
Réclamer l’abandon de la « politique produit » et demander le retour à une politique « tout addiction » est une erreur majeure, déjà commise de 1998 à 2002, et qui a donné en France des résultats catastrophiques sur la consommation de tabac et de cannabis.
Pour le tabac, de 1991 à 1997, la lutte était centrée sur l’interdiction de la publicité, la protection des non-fumeurs de la fumée de tabac et la taxation du produit. La CHUte de la vente de tabac a été de 11 %, celle des seules cigarettes de 14 %.
De 1998 à 2001, la politique contre le tabac a été intégrée à la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie (MILDT), qui a mené une politique essentiellement centrée sur l’offre de soins. Il ne fallait plus parler du « produit », mais du comportement des consommateurs. Malgré le renforcement des aides à l’arrêt, cette politique, associée à des augmentations de prix non dissuasives, s’est accompagnée d’une stagnation de la consommation de 1998 à 2001.
Depuis 2002, la MILDT vise désormais, et à juste titre, à la fois les produits et la personne. En termes de tabagisme, les dernières mesures qui attaquent directement le produit tabac en le présentant comme un produit malsain et cher (taxation, avertissements sanitaires agrandis, interdiction de vente aux moins de 16 ans, interdiction des paquets-enfants, campagnes de dénormalisation) ont eu un effet spectaculaire, avec une diminution de 13 % des ventes en quelques mois, la plus forte jamais observée.
La politique conduite depuis un an se montre particulièrement efficace. La grogne des buralistes, qui voient les ventes CHUter, l’a bien illustré. Il ne faut pas en casser la dynamique, qui pourrait être remise en question par la FFA. L’histoire de la lutte contre le tabac en France ces quinze dernières années condamne clairement la politique « tout addiction » et le refus d’une prise en compte indépendante du produit. Le tabac a besoin d’une politique spécifique associant la prévention et les soins.
Pour le cannabis, l’absence totale d’intervention sur le produit et quelques mots malheureux de ministres tendant à le banaliser expliquent la flambée de consommation de cannabis chez les jeunes. Plus d’un jeune sur deux consomme au moins de façon occasionnelle, et fumer du cannabis est devenu chez eux la norme sociale. Les proportions de consommateurs de plus de deux joints par semaine et même de deux joints par jour augmentent de façon parallèle à l’augmentation de la consommation globale. Il est urgent de construire une intervention organisée sur le cannabis, produit dont la fumée est malsaine et toxique et dont le marché dépasse maintenant plusieurs centaines de millions d’euros en France. Malheureusement, le message des spécialistes de l’addiction reste confus et contradictoire, empêchant les décideurs politiques de tracer une ligne claire pour conduire une politique globale de contrôle du cannabis.
Les interactions entre les consommations sont importantes. La baisse récente de la consommation de tabac chez les jeunes Parisiens s’accompagne d’un arrêt de la flambée de la consommation de cannabis, alors qu’aucun autre facteur n’explique cet arrêt.
Il est évident que nous soutenons la conduite de recherches en addictologie, l’étude des mécanismes communs d’installation de la dépendance, la mise à disposition des polyconsommateurs ou des consommateurs ayant des troubles psychiatriques d’unités spécialisées. Nous soutenons le principe d’une coordination au sein de la MILDT de la politique de lutte contre les drogues et la toxicomanie. Cependant, l’action contre les effets des drogues addictives ne peut se résumer en une sollicitude éplorée envers leurs utilisateurs. Il existe des différences, des effets médicaux, des conséquences économiques, sociales, familiales tels qu’une politique par produit s’impose. La prise en charge de la plupart des fumeurs, buveurs ou consommateurs de cannabis nécessite une mobilisation de tous les responsables locaux et nationaux, de tous les formateurs et de tous les soignants. Seuls une petite fraction de ces consommateurs et les polyconsommateurs nécessitent une prise en charge non spécifique.
Le développement de l’addictologie a été intéressant pour la compréhension de la dépendance, pour que les professionnels décloisonnent leur activité, pour le traitement d’un petit nombre de malades. Elle ne peut cependant redevenir le cœur de la politique du contrôle des consommations les plus courantes, car les différences entre les produits addictifs l’emportent sur leurs points communs. La France a donc besoin d’une politique cohérente centrée sur chaque produit addictif.
La consommation de tabac en France chute quand on s’attaque au produit ; elle ne baisse plus quand la politique est au tout- addiction.
Bertrand Dautzenberg est président de l’Office français de prévention du tabagisme (OFT), professeur de pneumologie (CHU Pitié-Salpêtrière, Paris). Gérard Dubois est professeur de santé publique (CHU Amiens).
• ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 06.01.04