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Comment détourner les très jeunes du tabac
Il n’est pas exceptionnel de voir des jeunes fumer à la sortie d’un collège. Et jeunes, ils le sont vraiment puisqu’ils ont entre 11 et 14 ans. Or, toutes les études le montrent, plus on commence à fumer tôt, plus il est difficile de s’arrêter et plus le risque de passer à d’autres produits est grand. D’où l’importance particulière de cette cible pour les politiques de lutte contre le tabagisme, symbolisées chaque année le 31 mai par la Journée mondiale sans tabac.
« A l’adolescence, les jeunes s’éloignent du modèle parental, expérimentent leurs propres limites », explique François Beck, spécialiste de l’épidémiologie du tabac à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes). « La transgression de certains interdits, les prises de risque, dont l’expérimentation du tabac fait partie, participent à la construction de leur identité et à son affirmation. » Mais pour Myriam Cassen, psychologue et addictologue de l’Institut Michel-Montaigne à Bordeaux, « avant 14-15 ans, on est encore un enfant, et un enfant qui fume, c’est un enfant qui ne va pas bien, qui souffre le plus souvent de troubles de l’attachement ». D’autant que, très souvent, il ne fume pas que du tabac.
Discours spécifique « Il y a un lien très net entre cigarette, d’une part, absentéisme et comportements de refus d’autorité, d’autre part », renchérit François Beck. Si de tels comportements ne sont pas l’apanage des seules classes défavorisées, la plupart de ces très jeunes consommateurs en sont cependant majoritairement issus. Ils sont aussi souvent en échec scolaire ou bien sortis du système, ou encore engagés dans des filières courtes.
Les politiques publiques de lutte contre le tabagisme, portées par des organismes comme l’Inpes, s’intéressent désormais aux jeunes de façon spécifique. « Les messages en direction des fumeurs adultes n’ont pas d’impact sur ces jeunes, explique Julie Fourès, chargée de communication sur le tabac à l’Inpes. Ils n’ont pas conscience qu’ils prennent un risque et sont dans l’illusion d’une maîtrise de leur consommation. Ils n’ont aucune notion de la difficulté à arrêter même s’ils ont dans l’idée d’arrêter un jour. »
Dans les années 1980, les politiques de prévention ont d’abord cherché à jouer sur une valorisation des non-fumeurs, par exemple avec le slogan « L’énergie, c’est pas fait pour partir en fumée. » Dans les années 1990, la loi Evin a porté un coup à la valorisation du tabagisme. A partir de là, les campagnes se sont donc attachées à montrer aux jeunes, particulièrement jaloux de leur autonomie, qu’ils étaient manipulés par les stratégies marketing des marchands de cigarettes -notamment avec une campagne télé dont le slogan était « Ne laissez pas le tabac décider pour vous. »
La création de l’entreprise virtuelle Toxic Corp., en 2007, illustrait la même approche. Le principe : parce que « un fumeur sur deux meurt du tabac », Toxic Corp. doit sans cesse recruter de nouveaux jeunes clients. Un spot passé sur Internet et à la télévision recourait à un humour assez cynique au lieu de chercher à culpabiliser. Un site Web permettait aussi de visiter l’entreprise, de pénétrer dans le bureau du PDG et d’accéder à des documents démontrant la manipulation des grandes multinationales du tabac.
Impact difficile à mesurer Dernière action en date : le lancement sur Internet en 2010 d’un manga consacré à la face sombre du tabac, « Attraction ». Associé à un dessin animé interactif, il cible les moins de 15 ans. Pour les séduire, l’Inpes n’a pas hésité à faire appel à un maître du genre, le réalisateur japonais Koji Morimoto. Avec 550.000 visites de plus de trois minutes depuis son lancement, l’Inpes considère que c’est un succès. Mais quel est son impact réel sur la consommation de cigarettes par les jeunes ? Il est très difficile de chiffrer précisément l’effet d’une campagne, reconnaît l’organisme.
Pour Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération addiction, qui rassemble des spécialistes français en addictologie, les campagnes d’information et de prévention ne sauraient suffire. « Il faut de toute façon une approche multidimensionnelle », estime-t-il. D’où la création des « consultations jeunes consommateurs », qui mettent en contact des professionnels et les jeunes acceptant de s’inscrire dans cette démarche. Enfin, indiscutablement, le contexte général est devenu beaucoup moins favorable au tabac avec l’interdiction de fumer dans les lieux publics (2007) et l’interdiction de la vente de tabac aux mineurs (2009). La tendance, en tout cas, est bonne : parmi les adolescents de 17 ans, l’âge moyen de la première cigarette est passé de 13,6 ans en 2008 à 14,1 ans en 2011.
Source : lesechos.fr, Catherine Ducruet