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Chronique dans Le Monde : La dernière cigarette, v
Depuis plusieurs mois, le ministre de la santé, Xavier Bertrand, allume des feux sur les hauteurs ministérielles pour envoyer des signaux de fumée à la population : incessamment sous peu, il sera interdit de fumer dans les lieux publics ou de travail. Au 1er janvier 2007, peut-être...
Cela agace les députés de la mission parlementaire qui doivent rendre les conclusions d’un rapport qui leur a été demandé début mai. Mais qu’importe. M. Bertrand l’a dit mercredi 23 août : « En aucun cas, les aménagements envisagés pour certaines professions ne remettront en cause le principe général de l’interdiction ».
Il faut dire qu’entre-temps, la nouvelle de la reprise de la consommation de tabac a fait l’effet d’un vif grattouillis sur la boîte d’allumettes.
Les données du problème sont connues et, surtout, leurs implications sanitaires. Le tabagisme demeure la principale cause de mortalité prématurée dans l’Union européenne : 600 000 décès par an, dont, en France, 66 000 par consommation et 5 000 par tabagisme passif. A l’échelle planétaire, l’American Cancer Society évalue à 1 milliard le nombre de décès prévisibles au XXIe siècle (si rien n’est fait) en raison du tabac : dix fois plus qu’au XXe siècle.
On comprend donc que l’opinion soit périodiquement alertée par les signaux de M. Bertrand qui sont autant de patchs en matière de communication pour familiariser à l’extinction prochaine, en terres publiques, des cigarettes. Sur ce plan, nos voisins européens s’y sont d’ailleurs mis avant nous. En Grande-Bretagne, voilà que Tom et Jerry ont été interdits, la semaine dernière, de fumer à l’écran ! Et qu’un acteur jouant Sir Winston Churchill a été prié, à l’actuel Festival de théâtre off d’Edimbourg, de reposer, sur scène, son briquet avant d’allumer l’illustre accessoire : son cigare...
En France, on le sait, la résistance aux patchs ministériels est organisée par de solides micro-organismes appelés lobbies - représentants des bars-tabac, des métiers de l’hôtellerie et de la restauration - qui ont un allié de poids nommé Nicolas Sarkozy. Ceux-ci ont certes la vie dure depuis 2005, c’est-à-dire depuis que la Cour de cassation fait obligation aux employeurs d’assurer la santé de leurs salariés, susceptibles d’être victimes de tabagisme passif. Mais ils résistent.
« Une société ne peut marcher à coups d’interdictions successives sur le sel, le gras, le tabac », a ainsi encore protesté le patron de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih), l’organisation patronale majoritaire dans le secteur, après la nouvelle annonce de M. Bertrand. Soit. Mais la question est aussi de savoir si une société peut marcher en toute liberté sans responsabilité. Outre-Atlantique, les débats sur la prise en charge par la collectivité (ou par les assurances privées) des dépenses croissantes liées à l’obésité, à l’alcoolisme ou au tabagisme témoignent d’un vent grandissant. En Grande-Bretagne, Tony Blair a récemment demandé aux Britanniques de prendre leur santé en main, estimant que chacun devait assumer ses « choix de vie ». Certains gros fumeurs sont d’ailleurs déjà interdits d’hôpital s’ils refusent d’arrêter de fumer. Il n’y a pas de liberté sans responsabilité.
Aux Etats-Unis, c’est ce qu’ont pensé aussi les attorneys de l’Ohio. Début août, un condamné à mort a contesté sa sentence, en arguant notamment qu’une interdiction de fumer prononcée par le juge avait poussé les jurés à délibérer trop rapidement sur son sort.
Selon Phillip Elmore, reconnu coupable du meurtre de son ex-petite amie en 2002, la privation de nicotine, y compris pendant les pauses, a eu des effets physiologiques et psychologiques importants sur les jurés, l’empêchant de bénéficier d’un procès équitable. L’accusation reste sereine sur ce dossier : la défense, relève-t-elle, avait elle-même... donné son accord pour l’interdiction de fumer.