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Il faut mieux protéger les non-fumeurs
Le refus de respecter la loi Evin dans les lieux publics donne « un mauvais exemple aux jeunes », affirme l’Académie de médecine, qui réclame une protection accrue de ceux qui ne fument pas.
« LES SUCCES récemment obtenus dans la lutte contre le tabagisme créent une atmosphère propice » à son renforcement, écrit le Pr Maurice Tubiana, auteur d’un rapport de l’Académie de médecine sur le tabac. « L’une des lacunes actuelles est l’absence de protection des non-fumeurs en raison du non-respect des dispositions de la loi Evin, estime-t-il. Or le tabagisme dans les lieux publics donne un mauvais exemple aux jeunes et rend difficile l’arrêt du tabac. »
Rompre la passivité des abstinents.
« Quand on revient en France après un séjour à l’étranger, on est scandalisé par l’attitude des fumeurs vis-à-vis des abstinents et la passivité de ces derniers devant l’atteinte à leur qualité de vie », souligne l’académicien. Les méfaits du tabagisme passif sont pourtant bien connus, avec quelque 3 000 morts par an et « l’altération de la santé de nombreux nourrissons et enfants ». Il faut ajouter à ce problème « la banalisation de la cigarette (qui) augmente considérablement les difficultés de l’arrêt du tabac », faisant des jeunes Français les plus gros fumeurs de l’Union européenne, « car ils copient les adultes ».
En tous lieux.
Forte de ces observations, l’Académie recommande d’agir dans plusieurs directions. L’interdiction de fumer est à « inscrire dans le code du travail. Il est impératif que les inspecteurs du travail soient, d’une façon ou d’une autre, habilités à intervenir ». Selon le rapport, « on pourrait prévoir un amendement à la loi de santé publique ou une loi spécifique ». Pour l’heure, regrette le Pr Tubiana, « ce n’est pas le fumeur qui est pourchassé, mais le non-fumeur quand il a l’audace de se plaindre et de brandir un certificat médical attestant que la fumée du tabac est nuisible à sa santé ». Pour protéger les femmes enceintes, il serait temps d’ouvrir systématiquement, dans toutes les maternités publiques transformées en « espaces non-fumeurs stricts », des consultations contre le tabagisme. En 2004, 29 % des femmes enceintes fument, soit trois fois plus qu’en 1970. Il faut aussi agir dans les hôpitaux, car « dans la moitié (d’entre eux) la protection des non-fumeurs reste un vœu pieu ». C’est que, constate le cancérologue, « rien ne récompense (leurs) directeurs qui, malgré les obstacles, tentent d’œuvrer contre le tabagisme, alors que l’absence d’action ne leur occasionne aucune remarque ». Dans le domaine scolaire et universitaire, « la situation est la même » qu’en milieu hospitalier. La loi est aussi bafouée dans les administrations nationales, régionales ou municipales et les ministères, hormis la Santé et la Sncf, qui « a fait un effort méritoire à la suite de procès retentissants ». Pour les cafés et les restaurants, le Pr Maurice Tubiana émet plusieurs suggestions : interdire les espaces fumeurs aux moins de 7 ans et aux femmes enceintes, doser « régulièrement le taux de polluants dans les espaces fumeurs afin que les clients soient avertis du danger par affichage », favoriser la multiplication de lieux sans tabac ou avec espace non-fumeurs « dans lequel l’air a été contrôlé », et faire figurer des macarons sur les façades des établissements signalant un air pur dans l’espace non-fumeurs ou identifiant un restaurant ou un café non-fumeurs. Les guides de tourisme, comme le « Michelin », sont conviés à faire état du degré de protection des non-fumeurs.
Une commission mixte juristes-médecins.
« L’absence de sanction résulte d’un problème juridique, estime le rapporteur. Les procédures de constat et de pénalisation sont trop lourdes et trop coûteuses pour que les associations puissent les mettre en œuvre. Que se passerait-il si, pour dresser une contravention à un automobiliste ayant brûlé un feu rouge, il fallait qu’une association de piétons fasse dresser un procès-verbal par un huissier et que, dans le procès qui succéderait, il était indispensable d’établir que l’infraction en question est bien interdite par la loi et nuit à la sécurité ? » Il faudra donc veiller à renforcer la législation sur la promotion des cigarettiers qui en « ont identifié les failles et savent les exploiter. Il faut faire étudier ce problème par une commission mixte juristes-médecins. L’Académie de médecine pourrait s’en charger », dit le cancérologue. Il conseille de « limiter l’apparition de fumeurs à la télévision » et, en matière de prix, souhaite d’urgence « une hausse massive » pour le tabac à rouler, qui est « plus nocif pour la santé en raison de sa teneur élevée en nicotine et en goudrons » et « constitue une incitation à la consommation de cannabis ». Et pourquoi maintenir un écart de prix entre cigarettes et cigares-cigarillos, ceux-ci étant tout aussi nocifs que celles-la ?
Intervenants douteux.
Enfin, s’« il est très satisfaisant que le nombre de candidats aux consultations antitabac ait massivement augmenté », il faut les aider à améliorer la qualité de leurs intervenants, sachant que, « sous la pression de la demande, de plus en plus de personnages de qualité douteuse tentent de prendre pied dans l’aide à l’arrêt ». Il est nécessaire d’étudier le rôle des psychologues et des psychiatres dans le sevrage et de renforcer leurs liens avec les centres d’aide à l’arrêt. Quant à la recherche, elle doit être développée en direction des mécanismes d’addiction et des facteurs psychosociaux contribuant à l’usage du tabac. « Faire baisser le tabagisme des jeunes, comme l’alcoolisme, le cannabis et la violence, requiert que l’on considère l’ensemble des problèmes dans le cadre d’une stratégie globale. Il est urgent d’y parvenir », conclut l’Académie de médecine.