Pourquoi l’Elysée a décidé de geler les prix du tabac
L’Etat pourrait perdre entre 150 et 250 millions d’euros. Le changement de pied de l’exécutif est lié à la colère des buralistes et à la crainte d’une poussée des achats illégaux.
Par Mathieu GALLET (Président Directeur Général)
Coup de théâtre vendredi soir à l’Assemblée nationale. Le gouvernement a défendu un amendement socialiste modifiant le calcul de la fiscalité des produits du tabac, contre l’avis de la rapporteure générale du Budget, Valérie Rabault. Contrairement à ce qui était prévu, les prix du tabac n’augmenteront pas au 1er janvier. Avec ce nouveau système, « les recettes de vente iront alimenter les marges des fabricants de cigarettes et plus les caisses de la Sécurité sociale », déplore Valérie Rabault. « Cet amendement a été déposé une dizaine de fois à l’identique, par des députés appartenant à différents groupes politiques du PS, à l’UMP et passant par l’UDI », souligne-t-elle. Ce qui laisse penser à une action concertée des lobbies du tabac.
« Un souci électoraliste »
La polémique naissante est alimentée par le changement de position du gouvernement au cours de la semaine passée. « Mercredi encore, Christian Eckert, secrétaire d’Etat au Budget, était sur l’idée qu’on ne voterait pas l’amendement », relève-t-elle. Que s’est-il passé ? Le gouvernement a-t-il pris peur devant les divers mouvements de buralistes qui ont exprimé leur ras-le-bol dans toute la France ces dernières semaines ? Ce dimanche encore 100 à 150 buralistes du Languedoc-Roussillon manifestaient contre la politique fiscale du gouvernement qui favorise selon eux les trafics et poussent les consommateurs frontaliers à se fournir davantage dans les pays limitrophes.
L’amendement adopté vendredi n’a semble-t-il pas calmé le jeu. Selon Gérard Dubois, président de la commission addiction de l’Académie nationale de médecine, « c’est dans un souci électoraliste que cette mesure a été prise. C’est s’aplatir devant l’industrie du tabac dont la Confédération des buralistes est le porte-voix. » On sait le gouvernement sensible au rôle social qu’ils jouent. « L’activité des buralistes est à la peine et donc on veille à ce que leur rôle ne soit pas remis en cause », reconnaît une source officielle.
Un « deal »
Au-delà de la controverse sur un sujet de santé publique, la question se pose du manque à gagner fiscal estimé par Valérie Rabault entre 150 et 250 millions d’euros. Christian Eckert ne partage pas cette analyse. « Les produits fiscaux sur le tabac, malgré les augmentations qui ont eu lieu au 1erjanvier 2014, ont baissé. Pas de façon énorme, mais de 50 à 100 millions, voire un peu plus. (...) Quand nous augmentons la fiscalité, les achats illégaux augmentent et nous font perdre un produit possible » déclarait-il lors du débat parlementaire vendredi soir.
Un proche du dossier reconnaît un « deal » entre l’adoption du paquet neutre, auquel les buralistes et l’industrie du tabac ne sont pas favorables, et l’engagement de l’Etat à ne pas lever de nouvelle taxe. Au final, c’est la question du financement du fonds dédié à la recherche sur le cancer annoncé par François Hollande en février dernier qui se pose désormais. « Les hausses de tarifs doivent retrouver leur finalité de santé publique, avait déclaré le président de la République. (...) Les recettes supplémentaires ne bénéficieront pas à l’Etat, mais abonderont un fonds dédié. »